DE LA PREVENTION, VERS L'ERADICATION DE LA VIOLENCE FAMILIALE

Colloque droit de la famille organisé en 2006 par l'Association de Juristes en Polynésie française - Contribution de Farhan YAZDANI - Chirurgien

e mërkurë, 20 qershor 2007

DE LA PREVENTION, VERS L'ERADICATION DE LA VIOLENCE FAMILIALE


Par le Dr Farhan YAZDANI
Chirurgien, expert près de la cour d'appel et membre de Droit et Ethique de la Santé, Unité Fonctionnel des Hospices Civils de Lyon de 1990 à 2002.

Le dépistage, le constat, le signalement et la répression systématiques de la violence familiale a un effet dissuasif. Le regard des régulateurs sociaux limite l'escalade et la procédure et la condamnation ont un effet d'exemplarité éducative pour la société. La reconnaissance du statut de victime et la mise à l'écart du coupable ont un effet thérapeutique pour la victime et pour la société.
L'éviction de l'auteur des violences du foyer familial s'avère souvent inefficace, ce qui contraint les victimes à l'exil. Plus grave encore, l'incarcération des pères violents prive de nombreux familles d'un support financier indispensable, les mettant devant le dilemme entre l'acceptation complice de la violence et la situation d'une famille en naufrage.
Le risque de récidive à la sortie de la prison pose un problème difficile. L'incarcération devrait être une occasion pour une prise en charge psychologique et sociale des auteurs, mais trop souvent, la surpopulation carcérale et la pénurie en professionnels de santé privent les condamnés d'une rééducation adéquate. De surcroît, on sait que les jeunes victimes de violence sont eux-mêmes prédisposées à devenir des auteurs de violences. Les comportements acquis durant l'enfance sont difficilement accessibles à la thérapeutique et se perpétuent de génération en génération.
L'ensemble de ces éléments indique qu'une fois la situation de violence instaurée, les solutions disponibles ne seront hélas que des compromis médiocres. Ceci plaide en faveur d'une prise en charge de la violence familiale à ses origines, beaucoup plus en amont de l'acte irréparable qui entraîne la judiciarisation .
Pour traiter ce mal à ses racines, il faut intervenir là où les pères, les mères et les petits enfants forment leurs personnalités, c'est à dire dans la cellule familiale qui est le creuset de chaque civilisation.
L'analogie d'une telle prévention avec celle d'une maladie physique peut aider à sa compréhension. Quand le chirurgien est consulté pour traiter une gangrène de la jambe, aucune solution disponible n'est "bonne"; seule une amputation mutilante peut sauver la vie du patient. Or, bien souvent, cette gangrène aurait pu être évitée par une éducation sanitaire, une hygiène de vie et des moyens thérapeutiques simples une vingtaine d'années en amont.
De même, c'est en favorisant une situation familiale adéquate que l'on peut dans une très grande mesure prévenir le comportement violent des enfants une fois devenus eux même des adultes.
La violence familiale s'installe dans l'escalade. Elle commence par l'indifférence, passe par la négligence, le mépris et la violence verbale, avant le passage à l'acte physique sanctionné par la loi. Dans bien des cas, la violence exprime l'échec d'un dialogue qu'il convient de favoriser.
Une éducation basée sur la culpabilité peut faire que la victime se sente paradoxalement coupable des malheurs qui lui adviennent. L'histoire biblique de Job démontre que le malheur ne veut pas dire culpabilité et le message chrétien réhabilité la victime face à ses puissants agresseurs, en démontrant que la victime, crucifiée entre deux bandits gagne une gloire immortelle, alors que ses agresseurs se condamnent à une honte éternelle.
Si la violence des femmes et des enfants, et le constat de leur part d'un comportement qui incite à la violence n'est pas exceptionnelle, les statistiques montrent que ce sont les hommes qui sont très majoritairement les auteurs des violences dans une société conçue par les hommes pour les hommes.
Au fur et à mesure que la société évolue vers la spiritualité, la sensibilité, la culture et le raffinement, la place de la femme, qui est prédisposée pour ces qualités, s'affirme. Plus la société régresse vers son état primitif, plus la force physique et la violence qui appartiennent au monde de la nature prévalent.
La primauté de la force physique dans les sociétés primitives a accordé traditionnellement une place inférieure à la femme et cet élément est prépondérant partout où la violence est faite aux femmes. Loin de prôner une rivalité entre les sexes, il convient de favoriser l'équilibre et la complémentarité.
Aujourd'hui, on sait que les phénomènes d'apprentissage passent par un vecteur affectif. Un enfant élevé par une mère instruite et épanouie dépassera en réussites l'enfant dont la mère est privée d'éducation et dont les droits sont bafoués. Ainsi, on peut dire que lorsqu'une femme est battue, plusieurs générations sont perdues, car la réussite des petits garçons, destinés à devenir les hommes de demain, dépendra de la situation offerte aux femmes d'aujourd'hui. Tant que les femmes n'auront pas atteint leur plein épanouissement, les hommes seront privés de la situation enviable qui pourrait être la leur, et aucun pays ne pourra prendre son essor; c'est idée qu'Aragon résume en disant "la femme est l'avenir de l'homme",
Depuis 150 ans, l'ère de l'émancipation féminine a été inauguré à travers le monde. En juin 1848, Tahirih, poétesse, théologienne et érudite persane confronte les uléma et se dévoile publiquement pour annoncer l'ère de l'émancipation de la femme. A son exécution elle proclamera que rien n'empêchera l'émancipation des femmes. Un mois plus tard, le 19 juillet 1848 à New York, Elisabeth Cady Stanton adressera la Convention de Senesca Falls en ces mots :
"En vérité, le monde attend la venue d'un nouvel élément, une force purificatrice, un esprit de miséricorde et d'amour. La voix de la femme a été étouffée dans l'état, dans l'église et dans le foyer, mais l'homme ne peut accomplir son destin seul, ni racheter sa race sans aide…. Le monde n'a jamais vu une nation grande et vertueuse, car, dans la dégradation de la femme, les fondements même de la vie sont empoisonnés à la source.… C'est la mère éclairée qui élèvera un fils éclairé. Tant que vos femmes sont des esclaves, vous pouvez jeter vos collèges et vos églises aux vents…. En vérité, les péchés des pères seront sur les enfants jusqu'à la troisième et quatrième générations. Dieu, dans sa sagesse, a lié toute la famille humaine de telle sorte que toute violence à un bout de la chaîne est ressentie tout au long de la chaîne, et ici aussi, on rencontre la loi de la réparation, car avec la chute de la femme, tous tomberont et avec son élévation, la race sera recréée."

(Elisabeth Cady Stanton, Correspondances, writings, speeches, ed; Ellen Carol DuBois, New York,: Schocken, 1981)
Ainsi, la violence familiale, et en particulier celle faite aux femmes et aux enfants menace l'avenir de tout un pays et son éradication ouvre les portes à sa réussite.